L'auteur : Thibault Biscarrat (1979),
écrivain et musicien français, né à Auch, a longtemps vécu en
Espagne et en Norvège. Il travaille actuellement à Bordeaux.

Dolmancé
a été finaliste 2016 au prix du premier recueil de poésie (Fondation Antoine
et Marie-Hélène Labbé.
Critique de Philippe
Cauché dans la revue La cause litteraire
« Ma vie ne fut qu’éclat, abîme, au c½ur de la toile,
derrière ces
longues draperies qui séparent notre regard de ce dernier royaume. Ma
vie n’est qu’une prière pour un Dieu absent ou non révélé ».
Dolmancé est un livre minuscule, une arme légère prête à servir, une
grenade littéraire qui ne demande qu’à être dégoupillée, nourri du sang
littéraire de Sade et Lautréamont. Les deux écrivains du risque absolu
hantent les hauteurs de ce roman. Dolmancé est une aventure littéraire
des sommets, des aiguilles arides, des précipices, du déséquilibre, de
l’essoufflement où le lecteur se risque à chaque page. Dolmancé, au
talent de diamant brut, semble la proie d’une frénésie, d’un mystère,
est insaisissable, ils sont légion à en témoigner et le livre en porte
les traces acérées : ses femmes, la Consolatrice, le journal intime
d’Emeline, et le carnet de Dolmancé, cette colonne vertébrale du roman
aux éclats tranchants comme des poignards.
« J’assigne au lieu des vocables, des phonèmes, j’assigne au temps une
nouvelle grammaire. Mon présent est un futur à l’abandon : organique
pensée de la matière, humus, corps, viscères que j’offre aux saisons ».
Dolmancé est un poète dont la plume est un baromètre, un sismographe de
l’état du monde. Il voit ce qu’il écrit, et écrit ce qu’il devine de la
dévastation du monde, sous ses yeux, le venin s’insinue. Pour écrire,
il s’accoude à l’humanité pour y desceller la trace du Diable et de ses
serviteurs – Satan, dans sa forme contemporaine, pourrait n’être qu’un
logiciel, un site communautaire dont vous ne pourriez jamais plus vous
passer. Comme Maldoror, il dirige ses talons en arrière et non en
avant. Il voit l’insensé, et l’invisible, jette sur la page blanche les
ombres noircies de ses visions terribles, mais aussi de ses sensuelles
admirations.
« L’écriture seule reste une lumière ténue dans l’obscurité de ce
siècle. Lorsque ce qui nous entoure n’est qu’un ersatz d’apocalypse où
chercher l’éclaircie ? Dans les yeux d’Emeline, dans la littérature ou
peut-être à défaut dans la mort ».
« Il me disait que mes seize printemps ne connaîtraient jamais l’hiver,
que ma beauté serait éternellement conservée par mes yeux. Il m’a dit
qu’il m’aimait. Moi aussi je t’aime, mais il y a ce monde et mes
frères… »
Dolmancé n’a pas face à lui la jalousie maladive de petits barons ou de
têtes molles, mais la fureur destructrice des frères de son amour, qui
n’acceptent pas qu’il s’emploie à sauver du nihilisme et de la
servitude la jeune femme. Sa réponse : la juste fuite à Venise, au c½ur
de l’absolue beauté, comme d’autres prirent la route de l’Abyssinie, ou
d’un Château de la subversion*, une fuite pour se sauver, car si la
langue sauve, elle ne suffit pas, en cas d’imminent danger, il convient
de disparaître, la liberté est à ce prix. De cette liberté Thibault
Biscarrat tisse un roman de la cristallisation, où l’amour, les récits,
les points de vue, les poèmes, les effusions, les doutes, les musiques,
gravent dans le marbre son chant où le bonheur est simple comme le
silence.
* Annie le Brun, éd.
Jean-Jacques Pauvert